Accueil / Instruments / Histoires d’instruments / La trompette dans le jazz : la profusion stylistique
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Funk et électricité
Les années 1970 voient la ramification des modes de jeu chez les trompettistes de jazz, conséquence directe de la superposition des influences et de la fragmentation stylistique consécutive aux remises en question provoquées par le free jazz et à la perméabilité du jazz aux autres courants musicaux. Miles Davis occupe, à nouveau, une place prépondérante : son intérêt pour le rock, sa fascination pour Jimi Hendrix, pour l’énergie du funk et la sensualité de la soul music, mais aussi l’attention qu’il prête aux recherches de Karlheinz Stokhausen l’amènent non seulement à s’entourer d’instruments électriques mais encore à vouloir explorer lui-même les effets rendus possibles par l’électrification de son instrument et l’usage de la pédale wah-wah et de la fuzz box employées par les guitaristes. Il en tire des gammes de timbres nouvelles, un phrasé déchiqueté se développant par bribes, nébuleux et bouillonnant qui se fond dans une pâte sonore collective saturée. Par la suite, peu de groupes de fusion intègrent un trompettiste, mais les ressources de l’électronique et de l’amplification permettent à certains de s’imposer dans les groupes de jazz à forte influence funk ou rock : Don Ellis, Eddie Henderson (1940-....) auprès d’Herbie Hancock, Randy Brecker (1945-....) dans les Brecker Bros, Ian Carr (1933-2009) dans le groupe anglais Nucleus... Ces trompettistes, à l'image d'Eddie Henderson, se révèlent d'excellents solistes en contexte acoustique.
Conservatisme de bon aloi
Si quelques revivalistes tels que Ruby Braff (1927-2003) ou Warren Vaché (1951-....) cultivent la lettre des trompettistes antérieurs à l’ère swing, l’essentiel des trompettistes n’échappe pas à l’héritage hétérogène des deux décennies précédentes. Certains, tels que Jon Faddis (1953-....) ou Jimmy Owens (1943-....), s’inscrivent dans la descendance directe de Dizzy Gillespie ; d’autres, tels que le Cubain Arturo Sandoval (1949-....) ou le Brésilien Claudio Roditi (1946-....), sont particulièrement sensibles à son intérêt pour les musiques afro-cubaines.
Singularités européennes
Naviguant entre l’Europe et les États-Unis, entre la free music et leur goût pour le lyrisme mélancolique, Kenny Wheeler (1930-2014) en Grande-Bretagne, Tomasz Stanko (1942-....) en Pologne, Enrico Rava (1939-....) en Italie et Palle Mikkelborg (1941-....) au Danemark, cultivent les rencontres, l’expressivité de la définition sonore, l’expérimentation avant-gardiste, les formats de chambre, les héritages nationaux, marqués par l’influence tutélaire de Don Cherry, Chet Baker et Miles Davis.
Le free, seconde vague
Parallèlement, dans les lofts new-yorkais tels que le RivBea du saxophoniste Sam Rivers, une seconde génération de trompettistes free tend à faire se rejoindre l’expressivité des premiers libertaires avec l’énergie fougueuse du hard bop, opérant la synthèse de la tentation virtuose et le goût pour les paroxysmes, les effets bluesy et dirty tirés des sourdines et les possibilités éruptives du jeu out : Hannibal Peterson (1948-....), Baikida Carroll (1947-....), Paul Smoker (1941-2016), Hugh Ragin (1951-....) et Roy Campbell (1952-2014) sont quelques-uns de ces trompettistes qui réconcilient l’underground avec une partie du public traditionnel dans une sorte de free bop aux évidentes qualités communicatives.
Techniciens et solistes
Le développement de l’enseignement, la diversité des expériences, le travail en section dans les big bands de Stan Kenton, Woody Herman ou Thad Jones/Mel Lewis permettent à un nombre notable de trompettistes majoritairement blancs, très bons techniciens, de se distinguer dans un registre largement dérivé du be-bop, tant sur la côte Ouest que la côte Est, comme de remarquables solistes sans s’imposer comme des rénovateurs de l’instrument : Carl Saunders (1943-....), Bobby Shew (1941-....), Lew Soloff (1944-2015), Tim Hagans (1954-....) et, sans doute le plus inspiré de tous, Tom Harrell (1946-....) qui révèle une richesse dans le phrasé et la réflexion harmonique qui l’imposent comme une référence.
Auteur : Vincent Bessières